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Fouille programmée – La Grande Rivoire, Sassenage (Isère)

Auteurs : Alexandre Angelin (laboratoire Archéorient – UMR 5133)
Jocelyn Robbe (laboratoire TRACES – UMR 5608)

Le gisement archéologique de la Grande Rivoire (Sassenage, Isère) est un abri-sous-roche localisé dans le nord du massif subalpin du Vercors. Orienté au sud, il s’ouvre au pied d’une falaise de calcaire sénonien à silex, à 580 m d’altitude, sur le flanc ouest de la vallée du Furon. La surface couverte par le surplomb rocheux est d’environ 75 mètres carrés (Fig. 1).

Découvert en 1986, le site a fait l’objet d’une fouille de sauvetage entre 1986 et 1994, sous la direction de Régis Picavet. Ce dernier y a identifié une importante séquence chronostratigraphique, dilatée sur plus de 5 mètres d’épaisseur et comprenant une succession quasi continue d’occupations humaines qui se répartissent du Premier Mésolithique à l’Époque gallo-romaine (Picavet 1999). Entre 2000 et 2017, dix-huit campagnes de fouilles programmées ont été conduites sous la direction de Pierre-Yves Nicod et ont permis la fouille de tous les niveaux allant de l’époque romaine au second Mésolithique dans les principaux secteurs du site (Nicod, Picavet 2003 ; Nicod et al. 2012).

À la Grande Rivoire, les niveaux mésolithiques sont dilatés sur environ un mètre d’épaisseur et sont caractérisés par des sédiments à forte composante anthropique (matière organique et cendre de bois). Les vestiges archéologiques sont très abondants et sont principalement représentés par des restes fauniques et de l’industrie lithique taillée.

En 2020, après trois années d’inactivité sur le chantier archéologique, une nouvelle campagne de fouille programmée a pu reprendre durant l’été (Angelin, Robbe 2020). Elle a concerné une partie des derniers niveaux mésolithiques qui subsistaient encore sur 60 cm d’épaisseur pour une surface d’un peu moins de 20 m2 au cœur même de l’abri. Il s’agit du secteur du site le plus riche, le mieux protégé, mais aussi le plus fragile. En effet, depuis plusieurs années, la fouille et l’enregistrement des données de terrain issues de ces couches encore en place étaient devenus une réelle nécessité tant ces dépôts étaient instables et menacés, et le sont toujours, de destruction (cf. Angelin, Robbe 2020 ; 2021).

Cette même année, les fouilles ont repris là où s’étaient arrêtées celles de 2017, c’est-à-dire au sommet d’un niveau d’éboulement et/ou d’effondrement du plafond naturel de l’abri matérialisé par d’énormes blocs venus perturber les niveaux cendreux en place (décapages d155 et d156). Après avoir entièrement fouillé la surface sur deux décapages (d156 et d157) et entamé un troisième (d158), soit en moyenne 15 cm d’épaisseur sédimentaire retirée, nous avons presque pu atteindre la base de cet évènement sismique correspondant à la fin de la phase moyenne du Premier Mésolithique de la Grande Rivoire, datée vers 7 600 cal. BC (Fig. 3).

En 2021, quatre décapages (d159 à d162) ont été effectués, soit 25 cm d’épaisseur sédimentaires (en moyenne) retirés. D’un point de vue sédimentaire, en plusieurs points de la surface, on notera une importante diminution des niveaux anthropiques cendroorganiques au profit d’une extension caillouteuse. Le retrait des derniers gros blocs d’effondrement — dont le sommet apparaissait dès le décapage d154 — dans les décapages d160 et d162 a révélé, dans la partie orientale de l’abri, une surface très homogène constituée de petits cailloutis associés à une matrice limoneuse jaune stérile et correspondant déjà, très probablement, à la base des niveaux anthropiques dans cette zone de l’abri.

En 2022 (Fig. 2), quatre nouveaux décapages (d163 à d166) représentant jusqu’à 45 cm d’épaisseur sédimentaires retirés (25 cm en moyenne) ont été nécessaires afin de constater 1) l’extension des cailloutis stériles correspondant à la base du remplissage — en cuvette — anthropique de l’abri et 2) la diminution quasi totale des niveaux cendreux, laissant apparaitre un cailloutis limonoorganique très riche en mobilier qui semble marquer le sommet de la phase ancienne du Premier Mésolithique de la Grande Rivoire, datée vers 8 200 cal. BC (Fig. 3).

Les niveaux fouillés entre 2020 et 2022 sont à l’image des campagnes précédentes, c’est-à-dire très fortement anthropiques et constitués d’un mélange de cendres de bois, de matières organiques et de charbons. Le matériel archéologique mis au jour est très abondant avec plusieurs milliers de restes d’ossements d’animaux (cervidés, sanglier, espèces montagnardes…) et d’artéfacts lithiques (silex taillés et cristal de roche). On soulignera plusieurs découvertes intéressantes et inédites du côté de l’industrie osseuse comme des éléments de parures.

Le sommet de la phase ancienne ayant été atteint, nous tâcherons, en 2023, de fouiller l’intégralité de la phase ancienne du Premier Mésolithique (ca. 8 450-8 200 cal. BC ; Fig. 3) et d’atteindre, en fin de campagne, la base des niveaux anthropiques.

Bibliographie :

Angelin 2017a
Angelin A., Le Mésolithique des Alpes françaises du Nord. Synthèse d’après l’étude des industries lithiques de l’abri-sous-roche de la Grande Rivoire (Isère, France), thèse de doctorat (Toulouse, École des Hautes études en Sciences sociales [EHESS]).          

Angelin 2017b
Angelin A., « Le Mésolithique des Alpes françaises du Nord. Synthèse d’après l’étude des industries lithiques de l’abri-sous-roche de la Grande Rivoire (Isère, France) », Bulletin de la Société préhistorique française, 114, 3, pp. 580-582.

Angelin, Robbe 2020
Angelin A., Robbe J., Fouille archéologique de la Grande Rivoire à Sassenage (Isère). Rapport d’opération 2020, Rapport de fouille (inédit), Grenoble : Département de l’Isère, Service régional de l’archéologie d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Angelin, Robbe 2021
Angelin A., Robbe J., Fouille archéologique de la Grande Rivoire à Sassenage (Isère, Auvergne-Rhône-Alpes). Rapport final d’opération programmée annuelle 2021, Rapport de fouille (inédit), Grenoble : Département de l’Isère, Service régional de l’archéologie d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Nicod et al. 2003
Nicod P.-Y., Picavet R., « La stratigraphie de la Grande Rivoire (Isère, France) et la question de la néolithisation alpine », in Besse M., Stahl Gretsch L.-I., Curdy P. (éd.), ConstellaSion : hommage à Alain Gallay, Lausanne : Cahiers d’archéologie romande, coll. « Cahiers d’archéologie romande », 95, pp. 147-168.   

Nicod et al. 2012
Nicod P.-Y., Perrin T., Brochier J. L., Chaix L., Marquebielle B., Picavet R., Vannieuwenhuyse D., « Continuités et ruptures culturelles entre chasseurs mésolithiques et chasseurs néolithiques en Vercors, analyse préliminaire des niveaux du Mésolithique récent et du Néolithique ancien sans céramique de l’abri-sous-roche de la Grande Rivoire (Sassenage, Isère) », in Perrin T., Sénépart I., Cauliez J., Thirault E., Bonnardin S. (éd.), Dynamismes et rythmes évolutifs des sociétés de la Préhistoire récente. Actualité de la recherche, Actes des 9e Rencontres méridionales de Préhistoire Récente (Saint-Georges-de-Didonne, 8-9 octobre 2 010), Toulouse : Archives d’Ecologie Préhistorique, pp. 13-32.

Picavet 1999
Picavet R., « Les niveaux du Mésolithique au Néolithique de l’abri de la Grande-Rivoire (Sassenage, Isère, Vercors, France)/The Mesolithic to Neolithic levels of La Grande-Rivoire rockshelter (Sassenage, Isère, Vercors, France) », in Bintz P., Thévenin A. (éd.), L’Europe des derniers chasseurs. Épipaléolithique et Mésolithique, vol. Actes du 5e colloque international UISPP, Commission XII (Grenoble, 18-23 septembre 1 995), Paris : CTHS, coll. « Documents préhistoriques », 12, pp. 617-625.

Fig. 1 : vue de l’abri-sous-roche depuis la route départementale D531. La limite supérieure du talus d’éboulis, avant son exploitation en carrière, est marquée sur la falaise par une différence de teinte du calcaire. Photographie : Pierre-Yves Nicod (Université de Genève, CH).
Fig. 2 : vue du chantier durant la campagne de fouille 2022. Photographie : Alex Angelin.
Fig. 3 : mise en parallèle chronostratigraphique — et schématique — des effectifs de marqueurs chronoculturels (armatures de flèches : N=x) du Premier et du Second Mésolithique de la Grande Rivoire découverts dans le secteur SU16-18 entre 2008 et 2011 (Angelin 2017a ; b) et dans le secteur central NR16-21 entre 2014 et 2017 et entre 2020 et 2022. Dessins : R. Picavet et J. Robbe. Réalisation et infographie : A. Angelin.